Yad Vashem s'était indigné de la déclaration du nonce. Il y avait de quoi : personne n'obligeait Mgr Franco à aller examiner une nouvelle fois la photo en question puisque la visite du Musée n'était pas un élément de la cérémonie, et le fait qu'il privilégiait ce ressentiment personnel par rapport à un recueillement pour les six millions de victimes impliquait qu'il accordait une importance insignifiante à la Shoah au centre de l'histoire d'une Europe façonnée par le christianisme (dixit Benoit XVI).
On pouvait avoir quelques doutes non seulement sur la sensibilité mais aussi sur l'intelligence de ce nonce, en Israël depuis deux ou trois ans, et qui ne s'était fait pas connaître par quelque fait retentissant jusque là et qui n'hésitait pas à déclencher une crise avec Yad Vashem, c'est-à-dire avec Israël en tentant de faire un véritable chantage sur le musée: le directorat de Yad Vashem a eu mille fois raison de souligner que le texte sur le Pape Pie XII correspondait aux données actuelles de la connaissance historique, mais qu'il pourrait être changé si l'ouverture des archives du Vaticant permettait de modifier dans un sens plus positif le regard porté sur Pie XII.
Et c'est là que nous avons affaire à un véritable forcing de la part de certains secteurs du Vatican (auxquels le nonce semble appartenir) dont le but est de parvenir à la béatification puis à la canonisation de Pie XII. Le père Pierre Blet, jésuite, est l'homme clé de cette opération, la caution historienne nécessaire. Le père Blet est un spécialiste de Pie XII, il a publié de nombreux documents relatant les actes du pontificat, toujours de façon dithyrambique, et pour cause: il est apparemment le seul à avoir accès aux archives du pontificat. Laisser les autres historiens travailler sur ces archives? C'est compliqué, répond-il, ce n'est pas la tradition de l'Eglise de rendre les archives disponibles si tôt, et puis ces archives doivent auparavant être mises en ordre et classées, ce qui prendra plusieurs années, et enfin de toute façon il n'y a plus rien à trouver puisque lui,père Blet, a déjà publié tout ce qui était intéressant sur le sujet. Autrement dit, circulez, il n'y a rien à voir...Et ajoute-t-il (figure typique de l'argument d'autorité destiné à impressionner le lecteur) "tous les historiens sérieux sont d'accord sur le rôle très important du Pape dans le sauvetage des Juifs". Donc, si vous mettez en doute ce que je dis, c'est que vous n'êtes pas un historien sérieux...
Mais la réalité est qu'il y a peu d'historiens sérieux qui suivent le père Blet. Depuis Saul Friedlander en 1966 à Suzanna Zuccotti ou Giovanni Miccoli, nombreux sont les historiens qui ont mis en évidence les "faiblesses" du comportement de Pie XII au cours de la guerre, lui qui avait été parmi les premiers à être prévenu de l'importance des massacres. A plusieurs reprises il avait refusé de prendre publiquement position malgré des objurgations diverses (notamment de représentants du gouvernement polonais en exil. Il n'a d'ailleurs pas pris position non plus sur les massacres de polonais catholiques: sa haine du communisme prédominait sur le reste.... Son discours du 24 décembre 1942 est une réponse bien limitée et bien filandreuse à la gravité des crimes nazis; aucune excommunication n'a jamais eu lieu contre les assassins.
Il est comme toujours des juifs pour en rajouter dans le dithyrambe: un diplomate israélien Pinchas Lapide avait écrit il ya longtemps que Pie XII avait sauvé 700 000 juifs. Personne n'a jamais su d'où ce nombre incroyable était sorti mais il a continue de circuler. Golda Meir, historienne "sérieuse" comme chacun le sait avait également débordé d'éloges sur le comportement du Pape pendant la guerre: c'est qu'il était intéressant d'obtenir alors l'appui diplomatique du Vatican pour l'Etat d'Israël. Récemment enfin, un Rabbin américain, David Dalin a repris ces histoires: le procédé est simpliste: de nombreux Juifs ont été sauvés dans les monastères italiens: on en conclut que le Pape est à l'origine de ces sauvetages. Mais les souvenirs du père Benoit, cet extraordinaire Juste des Nations qui après avoir tenté de sauver les Juifs de la région de Marseille et de Nice a été à l'origine de la Delacem, qui a été active dans l'organisation des caches, suggèrent que le Pape n'a pas eu d'initiative réelle dans ce projet.
Donc le balancier actuel penche nettement pour le doute vis-à-vis de l'activité du Pape pour sauver les Juifs, en dehors de certains cas très particuliers (le Rabbin de Rome Zolli, ultérieurement converti au christianisme et quelques autres...). Qu'on ouvre donc les archives!.....
Il ne semble pas, malgré la pièce si connue de Hochhuth (le Vicaire, 1963), dont la trame a été reprise par Costa Gavras dans son film Amen, mais dont les conditions d'élaboration ont été elles-mêmes discutées (brulôt établi par le KGB pour déstabiliser la papauté?) que le Pape Pie XII ait été un partisan des nazis: mais il les détestait moins que les bolchéviques. En signant en 1933 comme Cardinal Pacelli, le Concordat il a lié l'Eglise au régime nazi et l'a rendue impuissante "pour un plateau de lentilles", c'est-à-dire le maintien théorique de ses activités éducatives. Erreur dramatique qu'il n'a jamais reconnue car elle obérait son image de "grand " diplomate.
Mais plus encore, pour les Juifs, il a été le Pape qui après la guerre a couvert le fuite des nazis en Amérique du Sud, organisée par le célèbre évêque croate de Rome Alois Hudal. Et puis il a été le Pape qui alors qu'il n'y avait plus à avoir peur de représailles (je pense que Pie XII était un homme de cabinet, physiquement peureux et non habitué au contact physique...) n'a pas trouvé le temps de dire une phrase, un mot sur les massacres de Juifs dans ses années de pontificat d'après guerre, lui qui a tant parlé des dangers et des crimes du communisme...
De fait, la béatification de Pie XII en l'état actuel des choses entraînerait à coup sûr une crise grave dans les relations judéo-catholiques. C'est peut-être ce qui est recherché par certains courants de l'Eglise voulant prendre leur tardive revanche sur Vatican II et ses ouvertures notamment vers les Juifs.
De ce point de vue l'obligation qui a été faite au nonce, certainement par sa hiérarchie alertée, de participer aux cérémonies de Yad Vashem et de manger ainsi son chapeau est probablement l'événement le plus important dans sa signification, le plus rassurant aussi sur la pérennité des bonnes relations judéo-catholiques sous le pontificat de Benoit XVI, même quand celles-ci, comme ces dernières semaines sont soumises à certaines tensions (statut fiscal des établissements catholiques en Israël...). Les excellentes relations que nous avons tissées dans ce domaine avec l'Eglise de France ont peut-être joué leur rôle...
Par Richard Prasquier, le 13 avril 2007