06/07/2005

Edgar Morin condamné pour diffamation raciale

L’auteur de « Vidal et les siens » peut-il être antisémite ? Pour nous qui, effarés, avions découvert dans notre jeunesse, grâce à son enquête sur la « Rumeur d’Orléans », la facilité avec laquelle les vieux mythes mortifères pouvaient se propager dans la France paisible des 30 glorieuses, il nous a aidés à renforcer notre vigilance. Cette vigilance s’applique aux actes et non aux pensées ; les textes écrits, les déclarations orales sont des actes, plus encore lorsqu’ils proviennent d’individus qui revendiquent un rôle d’influence intellectuelle.

De ce point de vue, seul pris en compte par la cour d’appel de Versailles, le texte signé par Edgar Morin, avec Sami Naïr et Danièle Sallenave, contient des formulations antisémites. Le nier au motif que la lutte d’Edgar Morin contre toutes les formes de discrimination rend cette interprétation impossible est faire preuve, pour le moins, de légèreté méthodologique. Lorsque Jean Paul Sartre a écrit « tout anti-communiste est un chien », le prestige du maître n’ôtait rien à la bassesse du propos. Il l’aggravait au contraire, car un intellectuel sait ce que parler veut dire.

Lorsque, dans une pénible litanie où revient à cinq reprises le syntagme « les juifs », pour présenter en une comparaison très explicite les crimes qui furent commis contre eux à ceux qu’ils commettent contre les Palestiniens, le lecteur doit tirer deux conclusions :
1°/ les auteurs de ces crimes sont des Juifs ;
2°/ les juifs se conduisent comme des nazis. Certes, cette dernière formulation n’est pas exprimée dans toute sa brutalité, mais tout la construction balancée du paragraphe y conduit .....
Et pour qui n’avait pas compris, quelques lignes plus loin : « le peuple élu agit comme la race supérieure ».

Disons-le clairement, convaincus que les auteurs de la pétition en faveur d’Edgar Morin dans leur immense majorité, s’accorderont avec nous : comparer - ou inciter à comparer - les actions des Israéliens envers les Palestiniens avec celles des nazis envers les juifs n’est pas une opinion, c’est une ignominie - une ignominie antisémite, qui n’a rien à voir avec une critique de la politique israélienne.

Dans un entretien récent avec Silvia Cattori, journaliste très engagée, qui a écrit que Israël « mène contre les Palestiniens une guerre d’extermination raciste », Edgar Morin protestait récemment qu’à Auschwitz la commémoration ait été uniquement centrée sur les Juifs - ce qui est faux- alors qu’il y avait eu bien d’autres victimes du nazisme. Se peut-il qu’il ignore la différence entre extermination et persécution, qu’il ne sache pas que 90% des victimes d’Auschwitz, près de100% de celles de Treblinka, Belzec, Sobibor ou Chelmno étaient juives ? L’amalgame au nazisme serait-il l’effet d’une méconnaissance de l’histoire ou d’une volonté de banalisation ?

Quant au reste de l’article, dont l’auteur prétend qu’il était nuancé pour appréhender une situation complexe, sa lecture frappe par son simplisme manichéen.

Le cancer israélo-palestinien, écrit-il, répand ses métastases qui mènent à « des catastrophes planétaires en chaîne ». Autrement dit le terrorisme islamiste dont le monde a subi les conséquences de Bali à New York proviendrait du conflit israélo-palestinien. C’est faux et chacun le sait : ni Ben Laden, ni son disciple Mohammed Atta n’ont pensé aux Palestiniens : leur guerre se porte contre l’Occident infidèle et les « traîtres » musulmans. La cause palestinienne est un magnifique outil de propagande et de mise en condition ; que cette propagande conduise à des rumeurs hallucinantes comme celle de la responsabilité des Juifs dans l’attentat contre les tours, et bien d’autres, c’est là la pathologie, une pathologie psychique qui mérite interrogation. Ce n’est pas le conflit israélo-palestinien qui est un cancer, mais l’instrumentalisation permanente qui en a été faite, au détriment des Palestiniens, pour lui faire servir d’autres causes : conflit est-ouest et panarabisme hier, islamisme et utopie anti-mondialiste et anti-américaine aujourd’hui, échecs démocratiques du monde arabe toujours. C’est cette instrumentalisation qui fait que ce conflit n’a pas été résolu et ne le sera pas tant que l’objectif des véritables meneurs politiques sera autre chose que le bien-être du peuple palestinien. A entendre, en 2002 comme en 2005, les prêches des imams de Gaza ou les déclarations du Hamas, on est en droit de penser que c’est le conflit israélo-palestinien qui est devenu une métastase du terrorisme islamique et non pas l’inverse, et que c’est là tout au moins une des composantes de ce conflit qu’une analyse objective ne doit pas négliger. Edgar Morin fait retomber la responsabilité, toute la responsabilité, sur Israël parce qu’il est militairement le plus fort - où serait-il s’il n’avait pas cette force ? Dans cette dialectique de l’oppresseur et de l’opprimé après avoir longtemps expliqué comment les juifs opprimés sont devenus « un peuple méprisant ayant satisfaction à humilier » (y a-t-il un autre peuple à qui Edgar Morin aurait osé appliquer cet insupportable qualificatif ?), il ne veut pas voir qu’il y a plus que des ferments d’oppression dans le discours de leurs ennemis. Deux poids, deux mesures.

Mais, dans cet article, il y a bien d’autres choses : on y apprend qu’Israël applique, de la même façon que les attentats suicides palestiniens, le principe de culpabilité collective, « depuis le temps de Sabra et Chatila ». Faut-il redire, une fois de plus, que l’auteur du massacre de Sabra et Chatila est le chrétien libanais Elie Hobeika avec ses milices et que ce massacre ne l’a pas empêché de poursuivre une brillante carrière ministérielle dans un Liban occupé par les Syriens, jusqu’au moment où il a commencé à gêner ? Quant au « carnage » de Jenine : Edgar Morin savait déjà la réalité, en juin 2002 : 54 palestiniens tués ainsi que 23 soldats israéliens, car l’armée israélienne n’avait pas, justement, bombardé la ville d’où étaient venus des attentats-suicides particulièrement ignobles, de façon à éviter de faire trop de victimes civiles.

Il faut aussi citer son analyse des attentats-suicides : Israël est fort, les Palestiniens sont faibles ; quoi qu’ils fassent, leurs attentats sont moins graves que les actions israéliennes ; il s’agit pour eux d’un acte « existentiel extrême au niveau d’un adolescent » qui « féconde la cause de l’émancipation de son peuple », et qui se comprend comme une manifestation de la « logique archaïque de vendetta, si commune en Méditerranée ». Les habitants de la Méditerranée apprécieront (ceux de New York, Bali et de l’Irak en font-ils partie ?) : est-ce à eux que sont promises les soixante-douze vierges, et à leurs familles les milliers de dollars si généreusement distribués ? Ne voir dans ces actes que la manifestation d’un désespoir et non pas le fruit d’un endoctrinement des jeunes, malheureusement facile et efficace, est le degré zéro de l’analyse.

Quant aux manifestations antisémites en France : « une rancœur sourde contre les Juifs assimilés à Israël ; elle s’est transformée en actes de haine à cause de « l’attitude des institutions juives dites communautaires » (récemment Edgar Morin a dit que les Juifs de France « sont entre les mains du CRIF »...) et de l’ « impitoyable répression menée par Sharon »....

Est-il besoin de rappeler que les premières manifestations antisémites en France avaient précédé de plusieurs mois l’arrivée au pouvoir de Sharon ? Quant au rôle qu’auraient eu les organisations juives pour attiser le conflit et pousser au renfermement communautaire peut-il en citer un seul exemple ? Oui, le CRIF avait protesté devant la tendance à mésestimer la gravité de ces actes, qui ont traumatisé entre autres bien des enfants juifs en milieu scolaire ; oui, il a plus tard signalé les idiosyncrasies anciennes de la diplomatie française, mais il a toujours, comme toutes les organisations juives françaises d’ailleurs, cherché - avec un certain succès - à empêcher tout acte de représailles, à dialoguer avec les musulmans qu’il n’a jamais assimilés à des extrémistes, et à s’appuyer sur les institutions de la République. C’est dans cet esprit que le CRIF condamne également les menaces qui ont été proférées contre les auteurs de l’article.

Que signifient ces attaques récurrentes contre des organisations juives, qu’Edgar Morin ne connaît probablement pas ? Simple lutte contre le communautarisme ? Il se trompe de cible. Fantasme d’un pouvoir occulte recevant ses instructions de l’extérieur ? Non, pas lui...

L’opposition à la politique du gouvernement d’Israël est une opinion parfaitement respectable ; elle est partagée par bien des Juifs de France, y compris au sein du CRIF, et exprimée en tout cas avec dureté dans la presse israélienne. Lorsque cette opposition s’appuie sur des arguments partiels, ou partiaux, son expression et sa réfutation font partie du libre jeu d’opinion démocratique. Lorsque cette opposition utilise des arguments attribuant aux juifs certaines caractéristiques « essentialisantes », elle verse dans l’antisémitisme. La ligne est étroite et il se trouve que, malgré son passé et son expérience, Edgar Morin l’a franchie. Est-il antisémite lui-même ? Evidemment non, mais c’est son article qui est en cause, et non pas lui. Quant au reste, qui est du domaine de la controverse démocratique, nous pensons que son texte est surtout mal informé, approximatif, allusif et pratiquant l’amalgame, tout le contraire de ce qu’on pourrait attendre d’un homme qui a bâti une partie de sa réputation sur l’analyse de la complexité. Et nous vient cette question : Edgar Morin a-t-il vraiment lu son article ?

10/04/2005

Cérémonie à Auschwitz-Birkenau à l'endroit de la "maison rouge"

AUSCHWITZ (Pologne), 10 avr 2005 (AFP)

Un kaddish, prière juive des morts, a été récité dimanche à l'endroit de la "maison rouge", la première chambre à gaz de Birkenau, dans le Sud de la Pologne, à l'occasion de son incorporation au Musée d'Auschwitz.
Le grand rabbin français Gilles Bernheim a dit cette prière à la mémoire des quelque 100.000 personnes assassinées à cet endroit, notamment beaucoup de juifs de France, entre mars 1942 et avril 1943.
Une centaine de personnes venues de France, juives et catholiques, dont le cardinal Jean-Marie Lustiger et le président de la Conférence des évêques de France Jean-Pierre Ricard, participaient à la cérémonie.
"Il ne s'agit pas d'une acquisition muséographique. Il y eut ici plus de morts qu'à Dachau ou Ravensbruck", a déclaré Richard Prasquier, président du Comité français pour Yad Vashem, lieu de la mémoire de l'holocauste en Israël.
Il a acquis le site pour le donner au Musée.
L'historien italien Marcello Pezzetti, qui a aidé au repérage du site de la "maison rouge", a lancé "un appel à continuer".
Selon lui, "il faut chercher les fosses communes et surtout faire venir les jeunes".
Le groupe avait auparavant visité la Judenrampe, réhabilitée par la Fondation pour la mémoire de la Shoah et inaugurée par le président Jacques Chirac en janvier en marge du 60e anniversaire de la libération d'Auschwitz (à trois kilomètres de Birkenau).
C'est là que les convois de juifs déportés arrivaient jusqu'en mai 1944.

07/04/2005

Hommage à Jean Paul II par des responsables juifs et chrétiens prévu à Wadowice

Une délégation de responsables juifs et catholiques français, dont le cardinal Jean-Marie Lustiger, ira dimanche 10 avril rendre hommage à Jean Paul II dans sa ville natale de Wadowice (Pologne), à l'occasion d'un voyage à Auschwitz-Birkenau.
Le voyage à Auschwitz était prévu pour commémorer deux lieux jusqu'alors restés hors du périmètre du musée, la première Judenrampe et la "maison rouge" qui a abrité la première chambre à gaz de Birkenau, a expliqué Richard Prasquier, président du Comité français pour Yad Vashem et conseiller à la présidence du CRIF.
A la suite du décès de Jean Paul II, une partie de la délégation ira rendre hommage au pape dans sa ville natale, située à quelque 35 km du camp, a-t-il ajouté. "Ce sera un témoignage de respect de la part de juifs et de catholiques pour la mémoire du pape polonais", a souligné M. Prasquier, "il est important que les Polonais sentent que la mémoire de Jean Paul II peut servir de fédérateur".
Outre des responsables de la Fondation pour la mémoire de la Shoah et de la communauté juive, dont le directeur général du CRIF, Haïm Musicant, accompagnés du grand rabbin Gilles Bernheim, la délégation comprendra notamment le cardinal Lustiger, ancien archevêque de Paris, ainsi que le président de la Conférence des évêques de France, Mgr Jean-Pierre Ricard, archevêque de Bordeaux. Mgr Lustiger fera le voyage depuis Rome avant de participer au conclave pour élire un nouveau pape. La Fondation pour la mémoire de la Shoah a financé les travaux de restauration de la Judenrampe, où s'effectuait de juillet 1942 à mai 1944 la "sélection" entre les juifs valides, envoyés dans le camp, et ceux envoyés en chambre à gaz. Elle était restée à l'abandon contrairement à la "rampe des Hongrois", seule visitée jusqu'à présent, construite en 1944.
La "maison rouge" avait abrité la première chambre à gaz de Birkenau, qui a fonctionné treize mois durant, de mars 1942 à avril 1943, avant d'être détruite par les nazis. Une maison avait été reconstruite sur le site après la guerre. Le Comité français pour Yad Vashem a pu la racheter, la démolir et faire poser sur le terrain une plaque à la mémoire des milliers de personnes assassinées là.

11/03/2005

L'inquiétude des Juifs de France. D'où vient le nouvel antisémitisme

"L'inquiétude des Juifs de France. D'où vient le nouvel antisémitisme", avec la participation du Dr Richard Prasquier, conseiller du président du CRIF, du Père Jean Dujardin, ancien secrétaire du Comité épiscopal pour les relations avec le judaïsme et de Mme Isabelle de Gaulmyn, journaliste à La Croix.

Paroisse Notre-Dame des Champs, 92 bis, bld du Montparnasse 75014 Paris

01/02/2005

La Shoah est en nous

Soixante ans après la libération d’Auschwitz, la France, après un long, progressif et difficile travail sur son histoire, a intégré de façon exemplaire un enseignement de la Shoah dans le curriculum scolaire. Les cérémonies et les hommages aux victimes juives, la récente mise en valeur des Justes des Nations, rencontrent un soutien général de la classe politique et de la société civile, franges extrêmes exclues.

Soixante ans après la libération d’Auschwitz, la France est un des rares pays où si vous envoyez un des vos fils, casquette sur la tête et livre en hébreu dans les mains, dans certains quartiers, il y a de fortes possibilités qu’il revienne vous rapporter un épisode de bousculade ou d’injures. Pas de quoi instruire une plainte, mais assez pour laisser un sentiment de peur et d’humiliation aux conséquences durables.

Est-ce à dire que les efforts ont été vains ? Certes, les flambées antisémites actuelles ne ressortissent pas- loin de là- à un simple échec éducatif, même si certains professeurs pensent que l’hostilité de leurs élèves leur interdit de parler de la Shoah Quant aux motifs de ce nouvel antisémitisme, seule la mauvaise foi exonère la vulgate antiisraélienne à laquelle contribuent tant d’antiracistes patentés.

Si l’antisémitisme reste minoritaire, la tolérance à l’antisémitisme –est-ce vraiment différent ?- a malheureusement augmenté sur fond de peur et de sentiment d’impuissance avec le désir de renvoyer dos à dos les protagonistes dans le fantasme des conflits communautaires.

L’école est aujourd’hui victime d’un découplage éducatif : c’est en dehors d’elle, dans des microsociétés aux codes spécifiques ou dans la fraternité anonyme des sites web, lieux privilégiés de manipulation et de fuite du réel que des jeunes en mal d’intégration cherchent un sens à leur existence.

Si l’école veut reconquérir ces « territoires perdus de la république », l’enseignement de la Shoah offre, malheureusement, un outil privilégié. D’abord la connaissance de l’histoire avec ses horreurs et le poids de ses réalités pourrait contribuer à extirper les sirènes dangereuses du monde du virtuel et relativisme moral qui devient le nôtre : le mal est absolu non parce qu’ il a frappé les juifs, mais parce qu’il a cherché à anéantir l’autre de nous-même en le décrétant indigne de vivre. Comprendre ce que signifient les nombres, ces millions de morts qui tous furent une existence et une souffrance humaine et non pas un élément anonyme d’un ensemble étranger (les « juifs ») . Comprendre le caractère trompeur d’une image, et la manipulation émotionnelle qu’elle peut engendrer, alors que le vide n’est pas photogénique. Comprendre la fragilité et la suggestibilité humaine, son attirance pour la démission fusionnelle dans l’enthousiasme d’une foule, soulevée par des idéologues charismatiques. Réfléchir sur la volonté d’aveuglement des démocraties au bord du gouffre. Refuser les amalgames et prendre les faits et les mots au sérieux. Découvrir l’inanité des rumeurs et des explications par le complot.

Autrement dit se donner la possibilité d’être un homme responsable de soi et de l’autre homme. Difficile programme d’enseignement, mais où irons-nous sans cela ? Car la Shoah est en nous, comme horizon du possible et comme combat permanent.

Dr RICHARD PRASQUIER

Président du Comité français pour Yad Vashem

Membre du Conseil international d'Auschwitz et de la Fondation pour la Mémoire de la Shoah

Conseiller du Président du CRIF

25/01/2005

Discours du Président de la République pour l'Inauguration du Mémorial de la Shoah

Discours de M. Jacques CHIRAC, Président de la République, lors de l'inauguration du Mémorial de la Shoah.

Merci aussi à vous, Serge Klarsfeld, et à vous, Richard Prasquier. Je mesure tout ce que notre pays doit à la généreuse abnégation d'hommes tels que vous et à l'action patiente des deux institutions que vous dirigez : "Les Fils et les Filles des Déportés Juifs de France" et "le Comité français pour Yad Vashem".

08/01/2005

Auschwitz, soixante ans après

par Aude Lecat
Extrait de L’Arche n°561, janvier 2005
Numéro spécimen sur demande à info@arche-mag.com

10/09/2004

Début de dialogue encourageant entre les musulmans de l'UOIF et les juifs du CRIF

Article du 10/09/04
Par Xavier Ternisien
Source : LE MONDE

"Toucher à un juif, c'est contraire aux principes de l'islam", a dit le secrétaire général de la fédération musulmane, Fouad Alaoui. "L'UOIF a fait preuve de maturité", a indiqué Bernard Kanovitch, du CRIF.
Ils sont arrivés en retard, vers 18 h 20, alors qu'une troupe de journalistes les attendaient sur le trottoir de la rue Broca, dans le 5e arrondissement de Paris, face à l'immeuble qui abrite le Conseil représentatif des institutions juives de France (CRIF). Un camion de police stationnait à proximité.

Fouad Alaoui, le secrétaire général de l'Union des organisations islamiques de France (UOIF), est descendu d'un taxi, débonnaire et sans cravate, entouré de deux autres représentants de la fédération musulmane.

Aussitôt, une dizaine de nervis de la Ligue de défense juive, qui s'étaient postés en embuscade, se sont mis à vociférer : "Alaoui, facho ! nazi ! Soutien du Hamas, terroriste !"Les jeunes extrémistes ont distribué des tracts accusant les dirigeants du CRIF d'avoir "sciemment accepté de devenir des protégés de l'islam : c'est-à-dire de nouveaux dhimmis", acceptant un statut d'infériorité. Placide, M. Alaoui s'est tourné vers la petite bande en disant : "Continuez, ça ne me dérange pas..." Puis il a franchi le sas vitré qui mène au Centre Rachi, abritant le CRIF.

De l'avis unanime, la rencontre s'est bien déroulée. Pendant une heure et demie, les représentants de l'UOIF ont dialogué avec les membres de la commission des relations avec l'islam du CRIF, en présence du président, Roger Cukierman. C'est principalement Fouad Alaoui qui a parlé. Il s'est placé sur un plan religieux pour dénoncer l'antisémitisme : "Toucher à un juif, c'est contraire aux principes de l'islam." Il a insisté sur le fait qu'il était "hors de question d'importer un conflit étranger sur le territoire français". Des applaudissements ont salué son discours. Le journaliste Jean-Pierre Elkabbach était présent dans la salle, comme "témoin muet". C'est lui qui était à l'origine de la rencontre, ayant lancé cette proposition lors d'un débat sur Europe 1, le 13 juin.

"DÉBAT FRANC ET SEREIN"

Richard Prasquier, président du Comité français pour Yad Vashem, s'est inquiété d'un "climat détestable dans les écoles, où il n'est plus possible d'enseigner la Shoah". Certains ont reproché à l'UOIF de ne pas condamner suffisamment les actes antisémites. M. Alaoui a répondu qu'il l'avait fait à plusieurs reprises, mais qu'il jugeait nécessaire de savoir au préalable si l'on avait affaire à un acte antisémite ou "de délinquance". Le souhait général était de "faire quelque chose ensemble", même si aucune date n'a été fixée pour une nouvelle rencontre. Cependant, les représentants du CRIF n'excluaient pas de se rendre, à leur tour, au siège de l'UOIF.

Les deux parties n'ont finalement pas signé de communiqué commun, l'UOIF ne l'ayant pas voulu. Chacun s'est contenté d'une déclaration à la sortie. "Le débat a été franc et serein, a commenté Fouad Alaoui. L'UOIF a affirmé que les deux communautés devaient participer à un effort en faveur de la paix sociale. Notre condamnation de l'antisémitisme est totale. De même que nous sommes inquiets de la montée du racisme et de l'islamophobie. Nous souhaitons qu'on ne qualifie pas chaque acte antisémite comme d'origine musulmane."

Le président de la commission des relations avec l'islam du CRIF, Bernard Kanovitch, a déclaré : "Un dialogue est ébauché. Nous avons exprimé les inquiétudes de la communauté juive face à la montée des violences et de l'intolérance. Nous avons demandé à l'UOIF de veiller à l'enseignement des imams dans les mosquées. Cela demandera une surveillance de notre part. Mais l'UOIF a fait preuve de maturité."

Les participants ne cachaient pas leur satisfaction prudente. Le président de l'Union des étudiants juifs de France (UEJF), Yonathan Arfi, parlait d'un dialogue "nécessaire" : "Cela fait quelque temps qu'on est sorti du fantasme autour des "gens de l'UOIF"." En même temps, il se montrait sceptique sur les suites : "Le CRIF est un organe politique, qui se trouve face à une entité religieuse. D'où une part d'incompréhension, par exemple sur la nature du sionisme, qui est un mouvement national."

L'ancien président du B'nai B'rith, Yves Kamami, estimait que "la réunion pouvait avoir des effets positifs. En tout cas, M. Alaoui a prononcé des mots forts, affirmant sa volonté de paix civile et de ne pas importer le conflit israélo-palestinien." Puis il livrait, peut-être, la clé du succès de la rencontre : "Le but était d'éviter de parler de ce conflit. Il fallait discuter de ce qui nous rapproche et pas de ce qui nous divise."